34.
J’attendais avec une anxiété grandissante le retour de maman, prévu le mercredi. Elliott était venu me rassurer dès mon coup de téléphone affolé du lundi soir. Je m’étais sentie réconfortée par l’attention avec laquelle il avait écouté ce que je lui racontais, y compris qu’Aaron Klein, son successeur désigné chez Wallace et Madison, était persuadé de la culpabilité de Mack dans la mort de sa mère.
« C’est complètement idiot ! s’était-il exclamé. Aaron oublie m’avoir lui-même déclaré à l’époque que rien n’avait été dérobé dans l’appartement de sa mère. Je me souviens clairement de ses paroles – “Qui aurait donc pu la tuer, lui voler ses clés et ne rien subtiliser chez elle ?” Je lui avais dit que l’assassin était probablement un drogué qui avait été pris de panique en s’apercevant qu’elle était morte. Aaron s’obstine à chercher désespérément un coupable de la mort de sa mère, mais je puis t’assurer qu’il ne va pas accuser Mack. »
Il n’y avait rien de feint dans la réaction impétueuse d’Elliott. Mon père lui-même n’eût pas été plus véhément. C’est sans doute à ce moment-là que se dissipèrent mes réticences concernant l’intimité grandissante entre ma mère et lui. Et c’est aussi à ce moment-là que je décidai de ne plus l’appeler mon oncle, mais Elliott.
Nous convînmes que je serais inévitablement appelée à témoigner et que je devais prendre un avocat. « Je ne laisserai pas les médias juger et accuser Mack, promit Elliott. Je vais me renseigner et engager un ténor du barreau. »
Nous convînmes également de mettre maman au courant. « Avec cette allusion à la fête des Mères, un journaliste un peu futé ne mettra pas longtemps à faire le lien entre la disparition de Mack et celle de cette jeune fille, fit remarquer Elliott. Pis encore, je ne serais pas surpris que la police organise des fuites. Ta mère ne doit pas donner l’impression de se dérober. »
Elliott téléphona à ma mère et lui conseilla de rentrer le plus tôt possible chez elle. Lorsqu’elle arriva à la maison le mercredi soir, tout se passa comme il l’avait prévu. Telle une meute de chiens flairant une piste fraîche, les médias s’intéressaient à nouveau à la disparition des trois autres jeunes filles, révélant que Mack et plusieurs de ses copains étaient présents dans le club où Emily Valley avait été vue pour la dernière fois. La coïncidence entre les appels annuels de Mack et le message adressé par Leesey Andrews à son père faisait également les gros titres.
À son arrivée à Sutton Place, maman, fermement soutenue par Elliott, dut se frayer un passage entre les micros et les appareils photo. L’accueil qu’elle me réserva fut exactement celui que j’avais redouté tout en espérant qu’il serait différent. Ses yeux cernés étaient gonflés par les larmes et, pour la première fois, elle paraissait ses soixante-deux ans. Elle dit : « Carolyn, nous avions décidé ensemble de laisser Mack mener sa vie comme il l’entendait. Aujourd’hui, à cause de tes initiatives, mon fils est pourchassé tel un criminel. Elliott m’a aimablement proposé l’hospitalité de sa maison. Mes bagages sont encore dans sa voiture et j’ai l’intention d’accepter son invitation. En attendant, je te laisse le soin de te débrouiller avec toute cette agitation que tu as provoquée, et de t’excuser auprès de nos voisins d’avoir perturbé leur tranquillité. Mais, avant de partir, je veux entendre cet enregistrement. »
J’allai chercher la cassette et, assises dans la cuisine, nous écoutâmes toutes les deux la voix de Mack en train de plaisanter avec son professeur d’art dramatique. « Est-ce que je ressemble à Laurence Olivier ou à Tom Hanks ? », puis son brusque changement d’intonation pour déclamer les vers de Shakespeare.
Quand j’arrêtai la machine, le visage de maman était d’une pâleur extrême. « Il s’est passé quelque chose, murmura-t-elle. Pourquoi n’est-il pas venu m’en parler ? Je l’aurais aidé, quoi qu’il soit arrivé. » Puis elle tendit la main vers moi. « Donne-moi cette cassette, Carolyn.
– Non, maman, c’est impossible. Je ne serais pas étonnée qu’elle fasse l’objet d’une réquisition. Pour toi, elle signifie que Mack avait de graves ennuis. Mais d’autres peuvent en déduire qu’il travaillait simplement son texte. Elliott et moi avons rendez-vous avec un avocat demain. Je dois la lui faire écouter. »
Sans un mot, maman se leva et tourna les talons. Elliott me murmura : « Je t’appellerai plus tard », avant de lui emboîter le pas dans le couloir. Quand ils furent partis, j’écoutai à nouveau la voix de Mack : « … je me prends à pleurer mon exil, solitaire, harcelant le ciel sourd de gémissements vains… »
Mack récitait-il simplement son texte ? Exprimait-il ce qu’il ressentait ? J’avais l’amère sensation que ces mots s’appliquaient parfaitement à moi. Quelques minutes plus tard, le téléphone sonna. À l’instant où je décrochais et prononçais « Allô », la communication fut coupée.